La santé constitue aujourd’hui un marché en expansion croissante qui se nourrit de la fragilisation de la sécurité sociale. Ce marché accentue notre dépendance à l’égard d’un nombre croissant d’entreprises privées, au détriment d’une pensée collective de la santé et de nos possibilités d’action politique. Le comprendre nous permet d’imaginer des parades à cette emprise délétère.
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Ce texte a été publié pour la première fois le 18 décembre 2020 par la Smart.
La sécurité sociale est attaquée de toutes parts. Ce n’est pas nouveau, mais la pandémie de COVID ainsi que les mesures gouvernementales de gestion de crise n’ont fait qu’accélerer le mouvement. Et encore une fois, les charognards sont là et ils ont faim : capitaux en recherche de débouchés, multinationales en mal d’expansion, depuis le haut de leurs tours et de leurs milliards, ils s’attaquent au systèmes de santé ou à ce qu’il en reste pour en tirer profit. Mais la sécurité sociale est un bouclier puissant, pour nos corps et notre santé, et contre l’avancée capitaliste qui fragilise tant nos sociétés. C’est aussi une arme puissante pour les faire reculer et éviter que le piège qui nous est tendu ne se referme sur nous.
1. Quand les investisseurs pensent l’avenir des soins de santé
Si vous partez en balade sur le site internet du Forum économique mondial, une pratique certes rébarbative mais intéressante pour se faire une idée du plan de bataille des maîtres de ce monde, vous découvrirez la plateforme « Façonner le futur de la santé et des soins de santé1 ». Cette plateforme regroupe, entre autres, des dirigeants de multinationales telles que des grands laboratoires pharmaceutiques, des fournisseurs d’équipement médical ou des sociétés d’assurance. La dénomination seule en dit long: façonner, c’est « donner à une matière une forme particulière »2. En l’occurrence, les membres de cette plateforme entendent transformer le secteur de la santé pour qu’il réponde à leurs objectifs, à leur vision et leurs intérêts.
Plus proche de chacun.e de nous, le quotidien dans les hôpitaux, les hôpitaux psychiatriques, les maisons de retraite et autres structures de la santé, est depuis des années dénoncé comme insoutenable par les gens qui y travaillent. Infirmier.es, médecins, personnel de nettoyage, brancardiers, aides soignant.e.s, sont écrasé.e.s par une pression constante sur les budgets, les effectifs, la qualité et le rythme de travail. Cela génère colère, burn-out et abandon de carrière3. Même dans des pays comme la France et la Belgique, où le système de santé est parmi les meilleurs du monde grâce à la Sécurité sociale, des professionnel.le.s4 crient depuis plusieurs années la maltraitance dont ils et elles sont victimes et qu’ils et elles infligent aux patient.e.s5. L’arrivée de la pandémie n’a donc fait que précipiter et attirer l’attention sur une situation déjà catastrophique à maints égards.
Face à cette situation, les réponses politiques sont largement insuffisantes, elles sont même ressenties comme humiliantes. La Sécurité sociale, qui est la colonne vertébrale du financement des soins de santé en France comme en Belgique, est sous pression depuis des décennies6 : les cotisations, qui constituent la base du financement des caisses de maladie, de retraite et de chômage, ont été présentées comme des « charges » et dès lors sujettes à des réductions successives (c’est le devenir d’une charge, puisqu’elle pèse); le vieillissement de la population, la pollution, l’usage massif de produits chimiques dangereux, l’alimentation industrielle, les mauvaises conditions de travail et de logement, conduisent à une multiplication de la souffrance physique et mentale et font le lit de maladies nécessitant des soins et donc des dépenses de la Sécurité sociale (personnel, matériel, médicaments) ; le renchérissement du prix des médicaments imposés par les laboratoires privés, l’usage d’une technologie coûteuse aussi, poussent également à une augmentation des remboursements.
Moins d’entrées, plus de sorties : l’arithmétique est simple et aboutit au fameux « trou de la sécu », un trou creusé à la pelleteuse par des politiques qui ont allègrement nié et détricoté la richesse collective que constitue la Sécurité sociale. Rappelons à ce stade que la cotisation est prélevée sur le travail et qu’elle constitue un salaire socialisé (mis en commun dans une caisse de maladie) et différé (il peut servir au paiement de diverses prestations lorsque c’est nécessaire, en cas de maladie par exemple)7, dont la gestion est en principe assurée par les travailleur.euse.s et les employeurs. Ce n’est pas un impôt, l’une des différences étant que l’impôt est prélevé et géré par l’État, qui a ses intérêts propres et détermine un budget dans lequel la santé et l’éducation se retrouvent en concurrence avec le remboursement des dettes et les budgets de la police et de l’armée (par exemple). Mais quand il y a eu « trou » dans les comptes de la Sécu, l’État est intervenu pour le « combler » imposant une vision gouvernementale à un organe voué (dans l’esprit) à une gestion collective8, et imposant restrictions et autres politiques d’austérité. La dégradation des soins de santé a commencé là.
2. Les multinationales en embuscade
Partout où un problème suffisamment significatif apparaît, des entreprises cherchent à concevoir une solution : un marché potentiel s’ouvre, il s’agit de créer une demande qui générera de l’activité et donc des revenus et des profits. En l’occurrence, le système de santé de nombreux pays est aux abois. On pourrait penser (panser) le problème en termes d’augmentation des cotisations sociales, de prélèvement exceptionnel sur les grandes entreprises et ainsi augmenter immédiatement le personnel technique, les budgets pour la formation de nouveau personnel soignant et à plus long terme les effectifs de ces soignant.e.s, augmenter les salaires les moins valorisés et pourtant essentiels aussi, améliorer les conditions de travail pour encourager celles et ceux qui ont quitté – par épuisement – à revenir. On pourrait également envisager d’annuler la dette des hôpitaux, notamment celle qui serait due aux investisseurs privés – qui, comme on le verra plus loin, en ont largement les moyens. Mais cela implique du conflit contre des intérêts économiques puissants, et ce n’est pour l’instant pas la voie privilégiée. Les acteurs privés frappent aux portes des gouvernements avec leurs cohortes de solutions, et il semblerait que ce soit beaucoup plus tentant.
Dans le secteur de la santé, les acteurs sont nombreux et les domaines d’activité s’élargissent, avec un enthousiasme non dissimulé pour les solutions technologiques et digitales. Les principales entreprises de ce vaste « secteur de la santé » sont mues par la maximisation du profit au bénéfice de leurs actionnaires, de leurs créanciers et de leurs dirigeants. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil à leur communication aux investisseurs9 : la centralité de la rentabilité et du montant des dividendes attendus – partie des bénéfices qui sort de l’entreprise et revient aux actionnaires – pousse l’entreprise à être en croissance permanente.
Des laboratoires pharmaceutiques comme Bayer, GSK, Novartis, Roche ou Sanofi sont en cela emblématiques. Non seulement ils constituent des multinationales tentaculaires dont les produits se trouvent dans les rayons de toutes les pharmacies et dans les placards de nos salles de bains, mais leur expansion semble être sans fin.
Ces entreprises ne sont pas que des producteurs de médicaments : ce sont aussi des produits financiers. Leurs actions (parts de leur capital) et leurs obligations (parts de leurs dettes) s’échangent sur les bourses des marchés internationaux. Des investisseurs les achètent, dont des « institutionnels » comme les banques, les fonds d’investissement ou les sociétés d’assurance. Ces investisseurs attendent que la valeur des titres (actions, obligations) augmente, et pour cela il faut que les bénéfices à venir soient prometteurs. La recette est simple : vendre un maximum, dépenser le moins possible, ce qui, pour un labo, revient à obtenir un bon remboursement du traitement par la Sécu ou les assurances, et une compression du coût et du délai de mise sur le marché de nouveaux médicaments.
Les pratiques de lobbying de ces labos sont donc particulièrement agressives : accélérer les procédures d’homologation de vaccins et de médicaments10, profiter au maximum du financement public de la recherche pour produire de nouveaux brevets, tout cela nécessite un important et constant travail d’influence auprès des régulateurs11
Cette logique s’applique à toute entreprise qui a mis la rentabilité au cœur de son projet, c’est à dire à toutes les entreprises capitalistes, notamment celles qui se financent sur les marchés financiers et sont cotées en bourse. Parmi les fournisseurs de consommables médicaux (blouses, gants, masques, seringues, etc.), de dispositifs médicaux (prothèses, implants12, etc.) ou d’imagerie médicale et autres équipements, on retrouve des groupes internationaux comme Johnson & Johnson, Novartis, General Electric, 3M ou Siemens. Les fournisseurs de services aux entreprises et collectivités (repas, nettoyage, etc.) auxquels un nombre croissant d’hôpitaux confient des contrats de sous-traitance incluent des entreprises comme Sodexo (restauration collective industrielle de médiocre qualité qui s’appuie sur un travail sous-payé et des contrats précaires13). Les sociétés d’assurance, qui ne se contentent pas de fournir des services assurances-maladie complémentaires mais déploient également des activités de télémédecine, incluent des géants comme les groupes Allianz et Axa14. Les champions du big data, Google en première ligne, entrent aussi sur le marché de la santé et se posent en fournisseurs d’informations stratégiques pour de multiples secteurs15.
Toutes ces entreprises cherchent la même chose: nouveaux marchés, croissance, marges, réglementation favorable à leurs intérêts, satisfaction des investisseurs, au détriment des travailleurs.euses (conditions de travail, salaires) et des usager.e.s (qualité des produits et du service). Elles sont toutes organisées pour exercer une influence, à travers des groupes de pression nationaux, européens (InsuranceEurope, MedTechEuropre, l’EFPIA, Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques16…) et internationaux (comme le Forum Économique Mondial et sa plateforme pour le futur de la santé). Elles ont accès aux décideurs politiques et aux législateurs, complètement dépassés par la situation au mieux, convaincus de la pertinence de confier notre santé à ces entreprises au pire. Elles répondent aux appels d’offre des services publics en pleine détresse financière à force d’austérité et de priorités mal placées. Peut-être tous ces décideurs sont-ils éblouis par les fables futuristes des entreprises qui délivrent des solutions « clé en main » présentées à grand renfort d’infographies et autres montages vidéos hypnotisants. Cela nous mène toutefois à des situations absurdes et graves, où la priorité est donnée aux « solutions digitales » alors que l’accès aux soins de base est insuffisant dans les campagnes et les quartiers les plus peuplés ; où on entend régler une détresse psychologique croissante par de la télémédecine17.
Ces entreprises constituent aussi des placements pour des capitaux qui n’ont de cesse de trouver de nouveaux espaces d’où tirer une rente.
3. Derrière ces entreprises, des capitaux qui cherchent des débouchés
Depuis la crise financière de 2008, le creusement des inégalités s’est accéléré18 : on a sauvé le système bancaire et financier en endettant massivement les états. Le choix de l’austérité, qui veut que la dette publique soit payée par la population à coups de réduction des budgets dans la santé, de pression sur les allocataires sociaux ou de réduction des investissements dans les infrastructures, affecte particulièrement les personnes qui étaient déjà en situation de précarité. De l’autre côté, en sauvant le système financier, on a aussi sauvé ceux qui en profitent le plus : la partie de la population dont le patrimoine était déjà grand et qui tire une part importante de ses revenus de loyers, de dividendes et autres plus-values19. Sans surprise, l’appauvrissement des un.e.s a nourrit l’enrichissement des autres.
Tous ces capitaux, accumulés20 de manière accélérée depuis 2008 par une minorité de la population, cherchent encore et toujours des débouchés, des endroits, des activités, dans lesquelles « investir » pour en tirer de la valeur. Comme ce capital n’en finit pas de croître – et qu’il n’a pas été confiné, lui21, mais bien sauvé – il lui faut toujours plus de débouchés.
Comme tant d’autres, le marché de la santé (sic!) représente un débouché important pour ces capitaux. Les technologies (biotech, medtech, e-santé ou télémédecine, gestion des données des patient.e.s…) représentent une opportunité qui se chiffre en centaines de milliards tant les montants à investir sont grands. C’est tout l’intérêt de ces technologies : elles demandent du capital en quantité. Mais tout investisseur entend récupérer, additionné d’une plus-value et d’intérêts ou de dividendes. Il faut donc prendre ce bénéfice quelque part : les cotisations sociales, les budgets publics, la part qui revient aux patient.e.s et celle couverte par les éventuelles assurances-santé complémentaires, voilà l’argent tant convoité, voilà le marché.
Mais les cotisations et les budgets publics sont à la fois la manne et la limite à la marchandisation et à la privatisation du secteur de la santé. Comme le mentionne le Gresea dans son article sur le sujet22, de nombreux patients « ne peuvent généralement pas payer le prix de marché pour se faire soigner. Pour être profitable, le secteur commercial a donc besoin de financements publics ou socialisés afin d’étendre le marché, au-delà d’une minorité de personnes aisées et solvables. ». En d’autres termes, si un médicament n’est pas ou peu remboursé par la sécurité sociale, il ne sera probablement pas mis en vente, faute de profits en perspective.
Les assurances complémentaires aux remboursements de la sécurité sociale pourraient cependant ouvrir de nouvelles portes. Des multinationales de l’assurance comme l’allemand Allianz ou le français Axa ont fait leurs armes à domicile ou sur les marchés anglo-saxons. Elles peinent encore à avancer dans certains pays d’Europe continentale, notamment en France et en Belgique23 où la relativement bonne prise en charge des soins par la sécu rend leur offre superflue. Cela dit, depuis 2002, les balises réglementaires d’un marché unique européen de l’assurance privée ont été mises en place.
Les jalons sont posés, des brèches sont ouvertes pour le capital. Le choc de la pandémie semble justifier une accélération spectaculaire de l’avancé des logiques marchandes et financières : un approfondissement du capitalisme24 qui dans le domaine de la santé, profite aux laboratoires pharmaceutiques et aux apôtres du tout-digital. Depuis le début de l’année 2020, les dépenses de santé ont fortement augmenté25. Dans le même temps, les mesures de soutien à l’économie incluent des « reports de charges » qui visent à alléger la trésorerie des entreprises, mais réduisent les entrées dans les caisses de la sécurité sociale, alors que c’est le mouvement inverse qu’il faudrait opérer, en augmentant la contribution des grandes entreprises et des plus hauts revenus26.
Le danger est que la sécurité sociale et les hôpitaux soient maintenus dans une situation de fragilité financière qui exige une assistance : assistance soit de l’état, qui recourra à l’endettement, se soumettra plus encore aux exigences des investisseurs qui le financent et imposera plus d’austérité à la population, soit de « partenaires privés » qui viendront proposer leurs solutions miracles. Le plus probable, si l’on ne résiste pas, sera une combinaison des deux.
L’argument de vente d’une assurance maladie privée est en tous cas imparable dans un contexte dégradé. Ainsi, il est de plus en plus difficile d’accéder à des médecins spécialisés conventionnés ou consultant en hôpital public : les temps d’attente peuvent se compter en mois du fait du manque de praticien.ne.s. Cela incite celles et ceux qui en ont les moyens à consulter des spécialistes non conventionnés, c’est-à-dire aux honoraires (parfois largement) supérieurs aux montants couverts par la Sécurité sociale. Souscrire une assurance privée permet de couvrir ces frais supplémentaires tout en ayant accès au médecin plus rapidement et dans un environnement qui peut s’avérer plus sécurisant (surpeuplement en milieu hospitalier, maladies comme la Covid qui en limitent l’accès et font craindre un virus…). Cela empire les inégalités d’accès aux soins et renchérit le coût de ces soins27.Mais une autre conséquence serait que le déploiement de l’assurance privée renforce notre dépendance aux marchés financiers et réduise nos possibilités d’action politique.
4. Refuser la construction d’une nouvelle “alternative infernale”
Dans leur ouvrage La sorcellerie capitaliste, Isabelle Stengers et Philippe Pignarre nomment “alternatives infernales” “l’ensemble de ces situations qui ne semblent laisser d’autre choix que la résignation”. Une opération de “capture sorcière”. La peur de se retrouver dans l’incapacité de payer des soins de santé, de nouvelles lunettes ou une intervention dentaire, nous pousse à être toujours plus prévoyant.e.s, individuellement, chacun.e depuis notre place… et si on le peut. Accéder à des droits supplémentaires en payant des primes régulières à une société d’assurance privée, plutôt que de compter sur les cotisations pour y parvenir. Cela devient un moyen (légitime, ce n’est pas la question) de se rassurer, de se dire que non, on ne devra pas un jour choisir entre un implant dentaire ou le paiement du loyer.
Mais pensons au trajet de ces primes : elles sont rassemblées au sein de fonds gérés par des spécialistes de l’investissement. Certes, une partie de ces fonds doit rester disponible en cas de demande de remboursement, mais le reste part alimenter les marchés financiers. C’est ainsi que les sociétés d’assurance augmentent leurs bénéfices et qu’elles sont devenues les plus gros investisseurs sur les marchés. Comme pour les plans d’épargne-retraite ou les assurances-vie, les entreprises et individus en charge de la gestion de ces fonds prennent chaque jour des décisions d’achat d’actions (part de capital d’une entreprise), d’obligations (part de dette d’une entreprise, d’un état, de particuliers), et autres fantaisies financières diverses et variées. Que se passe-t-il alors quand les marchés chutent? C’est à cet endroit que se trouve « l’emprise sorcière” que Stengers et Pignarre tentent de nous rendre visible dans leur livre: on sait que les marchés financiers nous font mal (licenciements boursiers, investissements dans les énergies fossiles et autres pratiques destructrices, coût des crises financières, pour ne prendre que ces quelques exemples) et on peut se prendre à rêver à leur disparition, et pourtant “nous” pourrions bien devenir une partie du problème dès lors que notre assurance-santé, notre épargne-retraite ou notre assurance-vie s’y trouvent embarquées. Nous voilà coincé.e.s. En cas de crise financière, les personnes qui auront souscrit à ces services se retrouveront devant un dilemme impossible – une alternative infernale:
- soit sauver ces assureurs qui risquent la faillite, et ainsi maintenir leurs “droits”. Mais au passage, elles défendront des intérêts qui ne sont pas les leurs en maintenant en place un système financier qui profite à une minorité, nourrit les inégalités et détruit le vivant;
- soit abandonner ces “droits” et se retrouver avec le minimum garanti par ce qu’il resterait alors de la sécurité sociale.
Et que se passerait-il alors? Les questions que l’on peut se poser aujourd’hui peuvent se résumer ainsi: la “classe moyenne”, dont on ne sait plus bien ce qu’elle comprend, abandonnera-t-elle les plus pauvres à leur sort? Ceux et celles qui auront pu se constituer un petit pactole soutiendront-ils un sauvetage massif du système bancaire et financier au nom de leurs retraites, de leurs assurances et de leur épargne quitte à ce que le coût en soit porté par toute la population, et en premier lieu les plus précarisé.e.s ? Se désolidariseront-ils de nous lorsque nous nous battrons pour que le coût de ces sauvetages bancaires ne nous soit pas imposé via de nouveaux plans d’austérité destructeurs, et pour que ces coûts soient imposées aux plus riches quiont largement les moyens de les supporter? Nous soutiendront-ils lorsque nous nous battrons pour restaurer une sécurité sociale digne de ce nom, et que nous voudrons enfin faire porter le coût de leurs violences à ceux qui ont tout? Est-ce qu’ils y croiront, ou est-ce qu’ils se laisseront prendre par le discours du chaos qui ne manquera pas de tenter son retour: “si on ne sauve pas le système financier, TOUT va s’effondrer et il ne vous restera plus rien” ?
S’opposer au démantèlement des systèmes solidaires de retraite et de soins de santé, empêcher coûte que coûte ce démantèlement, c’est se donner la possibilité de résister au discours du chaos et au gouvernement par la peur. C’est aussi se donner des moyens objectifs et puissants de résister à l’avancée d’une vision morbide de la santé, et de construire un système de soin accessible à toutes et tous, qui mette le lien humain et la qualité des soins au centre, et qui soit respectueuse de ceux et celles qui nous soignent. Soignant.e.s, syndicats et mouvements sociaux résistent en défendant une certaine idée de la santé publique et de la sécurité sociale – et c’est bien dans cette direction qu’il convient d’aller si l’on veut se défaire de l’emprise des marchés financiers sur notre santé.
Notes:
1 Traduction de »Plateform Shaping the future of health and healthcare ». https://www.weforum.org/platforms/shaping-the-future-of-health-and-healthcare
2 Définition du dictionnaire Larousse en ligne.
3 En Belgique, une infirmière exerce pendant 7 ans en moyenne. En cause, le rythme de travail harassant combiné à une rémunération insuffisante et une faible reconnaissance.
4 A propos du mouvement des blouses blanches en France: https://www.liberation.fr/france/2019/01/22/l-hopital-psychiatrique-est-devenu-uniquement-un-lieu-de-crise_1704626 et le reportage video https://www.france24.com/fr/20190911-focus-france-urgences-hopitaux-psychiatrie-conditions-travail-infirmieres-medecins. Voir aussi ce court article daté de 2017 sur la maltraitance ordinaire à l’hôpital : https://syndicat-infirmier.com/Relation-soignant-soignee-maltraitance-ordinaire-a-l-hopital.html
5 Voir par exemple la Santé en lutte en Belgique.
6 Pour une revue du définancement de la sécurité sociale en Belgique, lire « Les soins de santé en Belgique : de la privatisation à la socialisation ? », par Gilles Grégoire, du CADTM Belgique. Pour le cas de la Sécurité sociale en France, voir l’entretien avec Bernard Friot mené par Aude Lancelin (Le media)
7 Voir à ce sujet l’article de Benoit Borrits « A bas l’impôt, vive la cotisation sociale ».
8 Voir en Belgique https://plus.lesoir.be/75743/article/2017-01-02/securite-sociale-le-cri-dalarme-des-partenaires-sociaux.
9 Aussi dénommée « Investor Relation » en anglais : cet onglet est disponible de manière assez visible sur les sites de toute entreprise cotée en bourse
10 La crise sanitaire et l’urgence de trouver des solutions pour arrêter ou limiter la pandémie ont conduit les autorités européennes et nationales à mettre en place des dispositions exceptionnelles (par exemple une accélération des procédures d’homologation avant la mise sur le marché de médicaments et de vaccins) es vaccins, sur les droits de propriété intellectuelle, accélération des homologations avant mise sur le marché) en normes
11 Voir à ce sujet le travail de Corporate europe observatory sur le lobby pharmaceutique, ses pratiques, et la façon dont il capte des montants colossaux de subventions publiques pour la recherche (comme montré dans l’étude « In the name of innovation »)
12 Le scandale des « Implant Files » révélait les effets tragiques de législations tellement conciliantes qu’elles en sont devenues mortelles. Voir les articles de la journaliste Stéphane Horel dans Le Monde: https://www.lemonde.fr/implant-files/article/2018/12/01/l-onde-de-choc-des-implant-files_5391256_5385406.html
13 Sodexo s’est aussi distinguée dans sa fonction de gestionnaire de prison en Grande-Bretagne https://multinationales.org/Grande-Bretagne-scandale-dans-une
14 Voir à titre d’exemple l’interview d’un des dirigeants du groupe Axa (un des plus gros assureurs d’Europe), en anglais : https://www.axa.com/en/magazine/how-telemedicine-helps-axa-tackle-the-healthcare-challenge
15 Prenez le temps d’une visite sur https://health.google/ : l’objectif est de rassembler des données pour qu’elles constituent des informations de diagnostic santé, et de prédiction de maladie – des informations particulièrement précieuses pour les laboratoires pharmaceutiques et les sociétés d’assurance.
16 .
17 Le géant de l’évasion fiscale, de l’audit d’entreprise et du conseil Deloitte collabore ainsi avec le World economic forum pour faire évoluer le cadre réglementaire et permettre des évolutions technologiques dans la fourniture de soins en santé mentale.
18 Voir l’article Crise financières, sauvetages bancaires et inégalités
19 En Belgique, d’après une étude réalisée par l’université de Leuven, 85 % des actions (titres financiers) sont détenues par 10 % de la population.
20 Voir la liste des milliardaires sur le site du journal Forbes, et le spectacle (rire garanti) d’Audrey Verdon « Comment j’ai épousé un milliardaire ».
21 Dans les périodes de crise financière comme celle qui se joue depuis le début de la pandémie, les volumes échangés sur les marchés financiers ont tendance à augmenter.
22 A voir sur le site du Gresea: https://gresea.be/Les-systemes-sanitaires-face-a-la-marchandisation-de-la-sante
23 Dans certains endroits du monde, et notamment dans les pays anglo-saxons , ce type d’assurance est très développé. En Allemagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays européens, il viennent aussi compléter les systèmes assurantiels publics et occupent une place importante. En France comme en Belgique, ces prestations restent marginales grâce à la force relative de la couverture universelle assurée par le système de Sécurité sociale. Voir l’étude de la DREES (institut public français) pour des données chiffrées: « La place de l’assurance maladie privée dans six pays européens La France, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suisse. » https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/62738/1/dossiers_19.pdf
24 Voir Naomi Klein et sa théorie du choc, bien illustrée dans la vidéo de Partager c’est sympa « Après la COVID 19, la stratégie du choc ».
25 La perte des hôpitaux belges serait ainsi de 2 milliards d’euros pour l’année 2020 : https://www.lalibre.be/belgique/societe/la-crise-du-coronavirus-doit-amener-une-reforme-structurelle-du-financement-des-soins-de-sante-5fb503267b50a6525b6cad1d.
26 Voir le dernier chapitre de l’étude du CADTM, précitée, pour une large liste de propositions pour un refinancement de la sécurité sociale et une refonte du système de santé.
27 Aux Etats-Unis (un système de santé largement privatisé, très éloigné de celui qui prévaut en France ou en Belgique), les soins de santé coûtent beaucoup plus cher et représentent une part significativement plus élevée du PIB.