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Pacte finance-climat: une communication radicale pour que rien ne change?

Pacte finance-climat: une communication radicale pour que rien ne change? Posted on 24 juin 2019
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« Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé. » Ce slogan, issu des mouvements écologistes et activistes en lutte pour la justice sociale et environnementale, est au coeur de la communication des promoteurs du Pacte Finance Climat. Pourtant, la proposition portée par Pierre Larrouturou, Jean Jouzel, Anne Hessel1 et d’autres, si elle est séduisante, ne remet pas en cause les fondements du système financier dévastateur qui nous est imposé, elle pourrait même le renforcer. Nous proposons donc ici d’amener un peu de complexité dans la discussion, de résister à la tentation de s’engouffrer dans une « solution magique », et de ne pas faire l’économie des nombreuses questions qu’elle devrait soulever.

« Pacte finance-climat »: de quoi s’agit-il?

L’un des deux principaux objectifs du Pacte Finance Climat (PFC) est la création d’une nouvelle banque publique européenne2 qui financerait la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement – un but louable et plus que jamais nécessaire.

La Banque européenne du climat et de la biodiversité (BECB) serait une filiale de la Banque européenne d’investissement (BEI). Elle serait dotée d’un capital constitué par la BEI et les Etats membres.

La BECB octroierait des crédits (elle prêterait de l’argent) à des états, et des organismes publics et privés. L’ambition est qu’elle permette d’investir plusieurs 100 aines de milliards d’euros dans la transition en Europe.

Or, derrière la louabilité des propositions et l’ingénuité de leur communication se posent de nombreuses questions de justice sociale et climatique que nous tenons à soulever dans cet article.

La proposition repose sur une augmentation de l’endettement public

Les porteurs du PFC ne s’en cachent pas: une hypothèse sous-tend la proposition de la banque du climat, et pas des moindres: celle d’augmenter l’endettement public au-delà des règles européennes3 imposées par le traité de Maastricht4. Les dettes publiques des états européens ont déjà explosé suite aux sauvetages bancaires et aux conséquences de la crise financière des années 2008-2011, et les politiques d’austérité imposées aux populations sont là pour contenir autant que possible cette dette dans les limites imposées par les traités.

Pourquoi augmenter la dette publique sans remettre en question la dette existante, constitué largement à des fins illégitimes?

Une proposition qui repose sur une augmentation de l’endettement public nous force donc à nous interroger:

  • Est-il souhaitable d’augmenter la dette publique (à des fins a priori légitimes) sans remettre en question une partie du stock existant (constitué largement à des fins illégitimes – cf les sauvetages bancaires au prix de l’austérité)?
  • Est-il raisonnable de croire que les Etats européens parviendront à s’accorder à l’unanimité (requise pour un changement de Traité) sur une dérogation aux limites d’endettement des Etats, en faisant en sorte que la dette contractée auprès de la BECB ne compte pas dans le calcul de l’endettement d’un pays?

Nous ne développerons pas ici les sujets de légitimité et d’illégitimité de la dette publique (un concept utilisé en droit international). Nous renverrons plutôt aux travaux du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) en général, et du Comité d’audit de la dette grecque5, très éclairants et inspirants sur ce sujet. Nous proposons en revanche de faire l’hypothèse (raisonnable) que l’assouplissement des règles de Maastricht ne passera pas ou prendra a minima quelques années. La collecte et la distribution des 10aines et 100aines de milliards d’euros octroyés par la BECB ne pourra donc pas être assurée par les pouvoirs publics. Mais qui donc alors pourra « prendre » les crédits octroyés par la BECB?

Dans la plupart des pays européens, l’absence d’un secteur bancaire public obligerait la BECB à s’appuyer sur les banques privées.

La proposition du Pacte finance climat ne va pas dans les détails quant aux modalités de distribution des crédits qu’elle octroierait, mais on peut faire quelques hypothèses basées sur la pratique6.

La BECB pourrait utiliser les banques des différents pays pour permettre, par exemple, que les montants servant au financement de la rénovation énergétique des bâtiments atteignent les ménages qui en ont besoin, que les financement servant à la transformation du modèle agricole aille aux agriculteurs et agricultrices qui ne parviennent pas à sortir de l’agriculture industrialisée faute de moyens, etc. En d’autres termes, les banques qui ont accès via leur réseaux d’agences à une grande partie de la population, pourraient recevoir des financements de la BECB, qu’elles distribueraient sous forme de crédit.

Vu l’état du secteur bancaire en Europe, cela reviendrait à confier (dans une très large mesure) la distribution de ces crédits à des géants financiers internationaux: BNP Paribas, Barclays, UBS, Deutsche Bank, Société Générale, etc… Les champions de l’évasion fiscale, du trading à haute fréquence, du financement des énergies fossiles, de la maximisation du profit au détriment des écosystèmes, de leur population et des travailleurs et travailleuses, etc.

Certes, il n’y a actuellement que peu de choix après des décennies de privatisations et de réglementations pro-marché, notamment dans des pays comme la France ou la Belgique. Mais cela pose la question du secteur bancaire, de qui le possède et le contrôle, et d’au service de qui et de quoi il est mis.

Outre la question épineuse du contrôle de la nature des investissements qui seront financées7 et du risque de greenwashing8 se pose la question de la rémunération des banques en tant qu’intermédiaire. L’idée initiale est que la BECB prête à taux zéro. Si l’on va dans cette direction, le minimum sera d’imposer que les intermédiaires financiers (les banques) financent à marge zéro voire à perte – une contribution minime à « l’effort collectif » qui ne saurait en aucun cas être compensée par une plus grande pression sur le personnel mais devrait se traduire en une diminution des profits.

La discussion autour du pacte finance-climat est une occasion de motiver une transformation profonde du secteur bancaire

La proposition de Pacte finance-climat risque d’entériner la situation insoutenable dans laquelle le système bancaire et financier se trouve9 comme quelque chose de « naturel », d’indépassable.

Pourtant, dans certains pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, des banques publiques, soutenues par des réseaux d’agences importants à travers le pays, existent. Elles pourraient de manière évidente opérer la distribution de ces crédits – pourquoi pas en exclusivité. Dans d’autres, des banques majeures détenues par l’Etat devraient être maintenues dans le giron public et voir leur mission adaptée afin de servir les populaltions, notamment en matière de transition énergétique et agricole: la Banque postale en France, Belfius en Belgique, Royal Bank of Scotland au Royaume-Uni, Monte Paschi di Sienna en Italie, Bankia en Espagne10… A l’exception de la banque postale française, chacune de ces banques est devenue propriété publique suite à leur faillite au moment de la crise financière. Les populations ont payé ces rachats, il est légitime que ces banques restent publiques et soient mises au service de la population, sous contrôle citoyen – et donc d’une transition écologique socialement juste.

La discussion autour du Pacte pourrait de ce fait devenir une occasion de motiver une transformation profonde du secteur bancaire. Sans cela, il risque d’être mis au service d’entreprises dont les pratiques sont anti-écologiques et principalement motivées par le greenwashing, et sur lesquelles il est par ailleurs très difficile d’exercer un contrôle. Et il risque de nous faire manquer l’occasion d’une transformation des banques alors que celles-ci ont des capacités de financement bien supérieures à la possible BECB: au total, les banques établies en Europe ont des encours de crédits de 15.500 milliards auprès des entreprises et des particuliers de l’Union européenne11. Ce ne sont pas les capitaux qui manquent… Plutôt qu’une transformation du système en place, le Pacte Finance-Climat propose de créer de nouvelles institutions.

L’augmentation de l’endettement privé pourrait encore fragiliser le système

Une partie des crédits octroyés par la BCBE visent in fine les ménages, les agriculteur.trices, les PME… Or leur niveau d’endettement est déjà tel que le FMI, les banques centrales et bien d’autres observateurs des marchés lancent des alertes répétées: il y a surchauffe, on risque une très grave crise financière12. Cependant, le Pacte se contente d’ajouter une couche de dette qui serait cette fois vertueuse et utile. Cela ne risque-t-il pas d’aggraver la situation?

Par ailleurs, si les crédits sont intermédiés par des banques privées et que les contrats de construction, par exemple, sont accordés à des multinationales cotées en bourse, cela pourrait avoir un impact conséquent sur les inégalités. Les auteur.e.s du PCF le savent bien et en font le point de départ de leur proposition: le système monétaire et financier actuel enrichit les plus riches, modifie le climat et détruit les écosystèmes.

Des solutions de financement peuvent être adoptées sans passer par la création de nouvelles dettes: le recours à la cotisation13, la ponction sur les fortunes individuelles millionnaires et multimillionnaires pour alimenter des caisses d’investissement, la ponction sur les profits des grandes entreprises (qui ne paient presque pas d’impôts aujourd’hui), comme cela est proposé dans le deuxième volet du pacte (un fonds pour le climat – voir tout de même la note 2 pour une critique sommaire), …

Autant de propositions qui ont l’intérêt de prendre l’argent là où il a été accaparé, et de l’utiliser, bon gré mal gré, à des fins de redistribution.

Le PIB est une mesure obsolète et largement soutenue par les énergies fossiles et les activités financières productivistes et spéculatives

La vision politique qui sous-tend les projets à financer ou pas n’est pas claire.

Autre point de notre critique (non-exhaustive14): celui concernant la nature des projets qui bénéficieraient des crédits de la BECB. Nous nous concentrerons ici sur les grands projets d’infrastructure (transports en communs, transport fluvial, installations énergétiques,…) qui occupent une place importante dans la proposition.

On observe depuis de nombreuses années une augmentation des Partenariats public-privé (PPP), une pratique qui rassemble budgets publics et privés pour la construction d’infrastructures. Avec des rendements importants… pour les entreprises privées. Le Pacte ne prévoit pas d’interdire cette forme de partenariat15 or, les PPPs bénéficient surtout aux multinationales de la construction, des transports, de l’énergie et autres secteurs – ces mêmes entreprises qui sont les premières responsables de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons.

Les projets financés par une banque climatique ne devraient pas conduire à ouvrir de nouveaux marchés lucratifs pour des grandes entreprises opérant selon la logique de maximisation des profits pour leurs actionnaires, alors que les risques et coûts seraient portés par le public et les usager.e.s, comme l’a clairement établi la Cour des comptes européenne16.

Aucune transition vers une économie bas carbone ne peut mettre de côté la question de la justice sociale. Il nous appartient de penser comment éviter que les moyens financiers mis au service de la transition ne servent des fausses solutions, qui promeuvent la technologie comme premiere réponse à l’enjeu climatique par exemple et qui parlent « d’innovations sociales »17 plutôt que de politiques de réduction des inagalités.

L’attribution de la « manne financière » proposée par le pacte repose sur une mesure obsolète et hyper-carbonée: le PIB

Le Pacte finance-climat propose qu’une enveloppe soit octroyée à chaque Etat participant, au prorata de son PIB, et que chacun de ces Etats en fasse usage pour financer notamment des investissements en infrastructures de type transports ‘propres’ (canaux, rail, etc).

Le PIB est une mesure obsolète et largement soutenue par les énergies fossiles et les activités financières productivistes et spéculatives18. Selon une telle logique, les montants les plus importants iraient à des pays ayant l’incidence la plus grande sur les dérèglements climatiques de par leur activité, et reviendrait à les gratifier de leur contribution.

Il est donc nécessaire de revoir les critères d’obtention des financements de la BECB et d’y intégrer des critères sociaux. Les premiers bénéficiaires de la transition écologique doivent être ceux et celles qui sont les plus touchées par la pauvreté et les inégalités, et qui sont les plus exposées à la pollution de l’air, de l’eau, des sols, de la production alimentaire,….

La financement de la transition climatique doit être juste. Et politique. C’est aux acteurs qui ont le plus bénéficié directement ou indirectement de la production de gaz à effet de serre de faire les plus grands pas vers une transition. Or, ce Pacte a le soutien de ces mêmes acteurs sans leur demander le moindre sacrifice: Laurence Parisot (ancienne présidente du Medef), Pascal Lamy (ancien président de l’OMC), Albert de Monaco (dirigeant d’un paradis fiscal)…

Comment accepter que de tels personnages se fassent les porte paroles d’un projet qui se dit celui d’une transformation radicale?

La création de cette banque ne fait qu’ajouter une couche de vert à un système déjà très noir du point de vue social, humain et environnemental.

Si réellement ce pacte doit tout changer, où met-il un frein aux privilèges d’une minorité qui mettent en danger la survie de tou.te.s?

Les propositions du Pacte finance climat nous paraissent encore bien fragiles, et sujettes à capture par les intérêts en place. Si aujourd’hui, pour des raisons sociales, climatiques, fiscales, et bien d’autres doléances dûment justifiées, les jeunes et les vieux, avec ou sans gilets jaunes, battent le pavé des rues Européennes, c’est pour demander un autre système. Ne cédons donc pas à la facilité et osons nous attaquer à ce qui est déjà, pour le transformer, à la racine.

Aline Fares et Lora Verheecke

Juin 2019

Cet article est le résultat d’un travail d’analyse, de réflexion et d’écriture réalisé avec Lora Verheecke, spécialiste des traités de libre-échange et des lobbies européens. Il a été publié pour la première fois en Juin 2019 sur le blog Mediapart de Lora.

Notes

1 Anne Hessel , fille de Stéphane Hessel, est très rarement citée par les porteurs du pacte, elle est pourtant co-auteure du livre « Finance-Climat : réveillez-vous » avec P. Larouturou et J. Jouzel. De manière générale, le pacte est majoritairement portée par des hommes blancs familiers de l’exercice du pouvoir, comme le démontre le grand débat sur la pacte finance-climat disponible sur le site: https://www.pacte-climat.eu/fr/legranddebat/

2 Un deuxième objectif est celui de créer un fonds européen pour le climat, qui serait financé par un prélévement (taxation adhoc) sur les bénéfices des grandes entreprises. Ce fonds serait notamment dédié au financement de la recherche et pour « la lutte contre le réchauffement climatique, en Europe, en Afrique comme dans tout le pourtour méditerranéen. » Nous ne comprenons pas bien le sens de cette proposition pensée par des européens blancs, si ce n’est pour soutenir, sur le mode néo-colonial, la présence d’entreprises françaises et européennes sur le sol du continent africain. Cela dit, le principal levier financier proposé par le pacte étant la banque, nous avons fait le choix de nous concentrer sur cette partie de la proposition.

3 Le PFC propose de financer la transition écologique dans l’espace européen en mobilisant de l’argent emprunté à un taux privilégié par les pouvoirs publics (le plafond des 3% de déficit doit être supprimé) et les particuliers (entreprises, ménages), auprès d’une structure dédiée, la BECB (…). Source: https://www.pacte-climat.eu/fr/la-position-du-pacte-sur-les-reponses-a-notre-interpellation/

4 Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européennee (TFUE) stipule que « Le déficit public annuel ne doit pas excéder 3 % du produit intérieur brut (PIB), et la dette publique (de l’Etat et des agences publiques) 60 % du PIB. ».

5 Voir sur le site du cadtm: http://www.cadtm.org/Dette-illegitime

6 Cf par exemple KfW en Allemagne, ou la distribution des crédits octroyés par la BEI

7 Comment s’assurer qu’ils respectent les objectifs du pacte et qu’ils soient en concordance avec les besoins exprimés par les populations locales)

8 Nous sommes désormais familier.e.s des publicités du type « Votre banque finance la transition! », qui n’empêchent pas les mêmes banques de financer bien plus massivement les énergies fossiles et autres pratiques destructrices. Voir à ce sujet les analyses du « Scan des banques » sur les activités nuisibles financées par les banques.

9 Voir les alertes répétées du FMI et des banques centrales depuis deux ans quant à l’imminence d’une crise financière, liée aux niveaux d’endettement public et privés devenus délirants. Très récemment encore:

10 Notre liste, non-exhaustive, est clairement basée sur notre connaissance du secteur bancaire qui se limite à l’Europe occidentale. Nous accueillerons avec enthousiasme toute information sur les banques publiques (avec réseau d’agence!) et les banques détenues par le secteur public suite à la crise financière mais soumises à des projets de privatisation dans les pays des autres régions d’Europe.

11 Source: Fédération bancaire européenne

12 Voir la toute récente sortie de la Banque de France: https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/la-banque-de-france-augmente-le-niveau-dalerte-sur-lendettement-1031966#utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=re_8h-20190625

13 Voir par exemple la proposition de Sécurité sociale de l’alimentation pour financer la transition de modèle agricole, telle que portée par le Réseau salariat. En France, c’est la généralisation de la cotisation sociale qui a permis le financement massif de lycées et d’hôpitaux publics après guerre.

14 Voir aussi la critique technique de BSI Economics sur les contraintes posées par le faible capital de la BECB et les importantes limites à ses capacités de refinancement http://www.bsi-economics.org/images/Banclimatidpromnd.pdf. Nous n’abordons pas non plus les problèmes de gouvernance et de contrôle démocratique possible sur les activités de la BECB, et la distance immense entre l’institution (banque, fond, traité, parlement… tels qu’incluts dans le PFC) et les populations concernées. Nous renvoyons vers les travaux de Counter Balance et de Positive Money.

15 Voir la proposition sur le site du Pacte finance climat: https://www.pacte-climat.net/wp-content/uploads/2019/02/Traite_Pacte_finance_Climat.pdf

16 Bilan des expériences de PPP publié par la Cour des comptes européenne l’an dernier: https://www.lagazettedescommunes.com/555607/ppp-un-rapport-au-vitriol-de-la-cour-des-comptes-europeenne/

17 Article 12: https://www.pacte-climat.net/wp-content/uploads/2019/02/Traite_Pacte_finance_Climat.pdf

18 Il suffit pour s’en convaincre de regarder la liste des plus importants PIB/habitant d’Europe (voir par exemple ici: http://statisticstimes.com/economy/european-countries-by-gdp-per-capita.php)